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« Le secret de récolter la plus grande fécondité, la plus grande jouissance de l'existence, consiste à vivre dangereusement ! »
(Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, §283, Hommes préliminaires) |
- La Volonté de puissance: pierre angulaire de la philosophie de Nietzsche
La Volonté de puissance
– « der Wille zur Macht »
en allemand – est la clef de voûte du nietzschéisme. Ce concept
fondamental est essentiel pour comprendre les mécanismes minutieux
qui sous-tendent la pensée de Friedrich Wilhelm Nietzsche et lui
confèrent une très grande cohérence d'ensemble.
De prime abord, il
convient de mettre cette fabuleuse harmonie de la philosophie
nietzschéenne en tension avec la pensée de Nietzsche lui-même.
Dans le Crépuscule des Idoles
(1888), Nietzsche dénonce l'esprit de système – que l'on
retrouve par exemple chez d'immenses philosophes tels Saint Thomas
d'Aquin, Spinoza, Kant ou encore Hegel – comme étant « un
manque de probité ». Afin de bien saisir les
enjeux de cette prise de position et de ne pas se méprendre sur la
philosophie de Nietzsche en en faisant une pensée foncièrement
anti-systémique, partons de la définition claire et lumineuse que
fait Étienne Bonnot de Condillac du système philosophique.
Or, chez Nietzsche, point
de système en apparence: la pensée se déploie par le biais
d'aphorismes comme autant d'éclairs dans le ciel de minuit.
Nonobstant l'absence de système formel, la philosophie de Nietzsche
conserve une profonde unité des premières œuvres (La Naissance
de la tragédie (1871-1872),
Vérité et mensonge au sens extra-moral
(1873), Considérations inactuelles
(1873-1876), etc.) jusqu'aux dernières (Par-delà bien et
mal (1885), Généalogie
de la morale (1886),
Crépuscule des idoles
(1887), L'Antéchrist
(1888), etc.).
Aussi, le fait de
reconnaître l'unité de la pensée de Nietzsche à travers
l'ensemble de son œuvre n'exclut pas, pour autant, de constater
l'évolution de celle-ci. Sur le mode de la dialectique hégélienne,
il est possible de considérer cette évolution comme étant à la
fois un dépassement et une conservation des idées développées
dans les premières œuvres. Cette mutation de la philosophie
nietzschéenne, qu'il convient de mettre en relief avec la vie de
Nietzsche lui-même et notamment par rapport à la dégradation de
ses rapports avec Wagner, peut être remarquée dès Humain, trop
humain (1878).
Le véritable tournant
s'opère avec Aurore (1881) et trouve sa concrétisation dans
Le Gai savoir (1882-1887): dès lors, le Nietzsche disciple
de Schopenhauer n'est plus que l'ombre de Nietzsche lui-même.
L'unité de la philosophie de Nietzsche est conservée grâce à la
théorisation progressive de la Volonté de puissance. De par ce seul
concept, Nietzsche va se distinguer du Conatus spinoziste dont
le principe est résumé dans les propositions VI (« Chaque
chose, selon sa puissance d'être (quantum in se est,
cf. Descartes & Newton),
s'efforce de persévérer dans son être. ») et VII
(« L'effort
(conatus)
par lequel chaque chose
s'efforce de persévérer dans son être n'est rien en dehors de
l'essence actuelle de cette chose. ») de la troisième
partie de L'Éthique.
Nietzsche va également
se détacher du concept schopenhauerien de Wille zum Leben
(« Volonté de vie »)
tout en l'intégrant dans le concept de Wille zur Macht
(« Volonté de puissance »). Ainsi, pour
Nietzsche, la Volonté de puissance est la pierre angulaire de sa
philosophie en ce qu'elle réconcilie – après que le marteau
nietzschéen ait fait voler en éclats les idoles aux pieds d'argile
– les dernières œuvres avec les premières, et ce, bien
qu'imprégnées par l'influence de Wagner et de Schopenhauer.
La Volonté de puissance: un principe ontologique fondamental
Le 349ème
paragraphe du Gai savoir permet de comprendre dans quelle
mesure Nietzsche se distingue de Spinoza et de Schopenhauer en les
intégrant puis en les dépassant dans un seul et même mouvement de
pensée. Ce dépassement, comme il l'a été dit précédemment, se
confond avec l'acte de naissance du concept de Volonté de puissance.
Dès lors, Nietzsche s'oppose à Spinoza dans la réponse qu'il
apporte à cette question incontournable en philosophie: quel
principe préside à l'accomplissement de toute chose?
Le fondement ontologique
proposé par Spinoza est celui du Conatus, c'est-à-dire de la
persévérance dans l'être, tel qu'exposé dans les propositions VI,
VII et VIII de la troisième partie de L'Éthique. Nietzsche
va refuser cette hypothèse tout en esquissant en creux la substance
même du concept de Volonté de puissance: « Vouloir se
conserver soi-même est l'expression d'une situation de détresse,
d'une restriction apportée à l'impulsion
vitale qui,
de sa nature,
aspire à une extension de puissance et par là même souvent met en
cause et sacrifie la conservation de soi. Que l'on prenne
ainsi pour un trait symptomatique chez certains philosophes tels que
le phtisique Spinoza, s'ils voient dans l'instinct de conservation un
principe décisif: – ce sont justement des hommes en détresse. »
(Le Gai savoir, §349: Encore au sujet de l'origine des
savants)
Ainsi, Nietzsche
subordonne la conservation de soi-même
à l'existence première de « l'impulsion vitale »: le
Conatus n'est plus un
principe ontologique fondamental mais seulement « l'expression
d'une situation de détresse, d'une restriction apportée à
l'impulsion vitale ». Nietzsche ne va pourtant pas jusqu'à
rejeter l'existence même du Conatus:
il se contente de le déclasser afin de l'intégrer dans un plus
grand ensemble dont il n'est qu'une des modalités. Ce plus grand
ensemble est celui de « l'impulsion vitale » qui, pour
être appréhendée, trouvera son assise théorique dans la Volonté
de puissance. En effet, Nietzsche considère que c'est « l'impulsion
vitale qui, de sa nature, aspire à une extension de puissance et par
là même souvent met en cause et sacrifie la conservation de soi »:
l'impulsion vitale est donc, en son essence même, Volonté de
puissance.
La Volonté de puissance: un mécanisme intrinsèque à la vie
Partant
de l'idée selon laquelle l'extension de puissance, à laquelle
l'impulsion vitale aspire de par sa propre nature, est susceptible de
mettre en cause et de sacrifier la conservation de soi, Nietzsche
nous offre la possibilité d'appréhender la vie dans toute sa
complexité ainsi que dans ses aspects les plus contradictoires grâce
à l'assise théorique conférée par le concept de Volonté de
puissance. Effectivement, comment comprendre la vie lorsque celle-ci
peut aller jusqu'à rechercher son propre anéantissement,
c'est-à-dire jusqu'à rechercher la négation de la vie elle-même?
Ici,
Nietzsche nous montre les limites de la réponse philosophique
conventionnelle consistant à dire, comme Rousseau dans le Discours
sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
(1755), que c'est en raison de sa qualité d'agent libre que l'homme
(et l'homme seul) peut aller jusqu'à s'autodétruire. La réponse
apportée par Nietzsche à cette question est beaucoup plus profonde.
Elle retrouve, d'une certaine manière, une réflexion d'ores et déjà
menée par Blaise Pascal dans les Pensées
(1670): « Tous les hommes recherchent d'être heureux. Cela est
sans exception, quelques différents moyens qu'ils y emploient. Ils
tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et
que les autres n'y vont pas est ce même désir qui est dans tous les
deux, accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la
moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les
actions de tous les hommes. Jusqu'à ceux qui vont se pendre. »
Chez
Nietzsche, ce n'est pas la recherche du bonheur en soi qui
conditionne la possibilité de mettre en cause et de sacrifier la
conservation de soi: c'est la vie elle-même en tant qu'elle
recherche continuellement sa propre intensification. Ce faisant,
Nietzsche dépasse également les théories fondées sur le caractère
absolu de la liberté humaine. En effet, le concept de Volonté de
puissance rend intelligibles les phénomènes s'apparentant au
gaspillage sous toutes ses formes. Ainsi, plutôt que de considérer
le gaspillage comme un phénomène uniquement irrationnel, Nietzsche
nous permet d'y voir la conséquence d'un trop-plein de forces
consécutif à une extension de puissance effrénée mais inhérente
à la vie elle-même. Ce raisonnement est évidemment extensible aux
conséquences du productivisme, telles que dénoncées par Karl Marx,
dans une société fonctionnant sur le mode capitaliste: si la
surproduction est inhérente à l'aspiration naturelle à une
extension de puissance, elle est parallèlement préjudiciable au
système lui-même.
La Volonté de puissance: une hypothèse radicale
Par
la suite, Nietzsche assimilera le darwinisme, en ce qu'il se fonde
sur la « lutte pour l'existence », à une sorte de
compromission avec le « dogme spinoziste ». Aussi, et
contrairement à une idée malheureusement trop répandue, le concept
de Volonté de puissance n'a rien à voir avec la légitimation, chez
l'Homme, d'une quelconque volonté de domination que devraient
naturellement avoir les plus forts à l'égard des plus faibles. On
impute également au darwinisme de tels desseins. Or il ne s'agit là
que d'une interprétation fallacieuse des thèses de Darwin, lequel
s'est pourtant farouchement opposé à toute forme d'eugénisme et
d'élimination des éléments les plus faibles de la société car
cela serait mettrait gravement en péril un instinct fondamental de
sympathie sociale participant justement à la préservation de
l'espèce humaine. D'ailleurs, Nietzsche lui-même ne tombera pas
dans ce piège et s'efforcera de critiquer les thèses de Darwin à
l'aune de la Volonté de puissance: « Mais en tant que
savant dans le domaine des sciences de la nature, on devrait savoir
sortir de son réduit humain: dans la nature ce n'est point la
détresse qui règne, mais l'abondance, le gaspillage, même
jusqu'à l'absurde ».
Ce faisant, Nietzsche va
prolonger sa réflexion au-delà des thèses spinozistes et
darwiniennes et ainsi confronter son concept de Volonté de puissance
à la Volonté de vie présente chez Schopenhauer: « La lutte
pour l'existence n'est qu'une exception, qu'une provisoire
restriction de la volonté de vivre: la petite comme la grande lutte
pour l'existence gravitent sous tous rapports autour de la
prépondérance, de la croissance, de l'expansion, conformément à
la volonté de puissance qui est justement volonté de vie. »
Nietzsche intègre le
vocabulaire de Schopenhauer mais dans un sens qui lui est propre. La
« volonté de vie » exposée par Nietzsche n'est plus une
lutte pour la domination ou une lutte pour la vie, elle est la vie
qui se veut elle-même, elle est la vie qui recherche sa propre
intensification. Ainsi, Nietzsche se distingue de Schopenhauer et
récuse par là-même le pessimisme « nihiliste » qui
découle de sa conception du « vouloir-vivre » et selon
lequel l'homme serait inéluctablement amené à osciller entre la
souffrance qu'entraîne l'impossibilité de satisfaire un désir et
l'ennui qu'entraîne la satisfaction d'un désir.
Chez Nietzsche, la
Volonté de puissance n'est donc pas volonté de domination ou de
pouvoir mais volonté de volonté: elle est la volonté qui recherche
l'intensification de sa puissance intrinsèque. Ainsi appréhendée,
la Volonté de puissance doit être considérée comme le principe
premier de la vie.
18 commentaires:
Merci pour ce commentaire, je viens tout juste de découvrir ton site et de lire ton texte qui porte sur la volonté de puissance. Je trouve que ta présentation est très claire, la façon d’amener la source et les références, cette articulation structurée, autant de chose qui font le propre d’une bonne approche méthodique, n’est ce pas ? Puisque tu replaces cette conception de Nietzsche à proximité de Spinoza, de Schopenhauer ainsi que dans les alentours d’un Condillac ou d’un Rousseau, si je t’ai bien compris tu privilégies donc une approche historique et une analyse externe de la pensée de notre auteur ? La volonté de puissance comme clef de voûte de la triade heideggérienne et des nombreuses interprétations qui s’y rattachent, personnellement je ne pense pas que Nietzsche est concédé autant de valeur à cette conception. Elle ne peut aucunement être tenue de pilier fondateur puisqu’elle intervient tardivement dans la pensée de Nietzsche. Formulée poétiquement dans le Ainsi parlait Zarathoustra, la volonté de puissance est ensuite présentée dans le Par delà le bien et le mal comme une conception psychologique. Bien que l’idée se profile et trouve ses prémices dans quelques textes, la formulation volonté de puissance n’apparaît pas dans Gai Savoir et les ouvrages antérieurs. Elle ne peut donc être considérée comme une pensée fondatrice puisqu’elle intervient à la croisée des chemins pour ainsi dire. Je ne dis pas pour autant qu’elle n’est pas importante, je reconsidère seulement sa valeur. Elle n’est pas un fondement, mais elle n’est pas non plus une continuité. Dans le Ainsi parlait Zarathoustra, présentée nous l’avons dit poétiquement la volonté de puissance s’entend davantage comme l’engendrement dans le beau et une volonté d’éternité. Dans le Gai Savoir la grande santé (dans le livre V écrit en même geste que le Zarathoustra), nous présente une volonté surhumaine (élément non disjoint) associée au danger, à l’aventure épique, à l’exploration des horizons inconnus de l’esprit. La volonté de puissance est l’expression de la démesure humaine, pour Nietzsche l’homme qui veut s’élever souhaite par là même sa propre chute. La volonté de vrai du sage, du prêtre, du savant, la volonté de justice de l’historien ne sont elle pas des démesures ? Puisque Nietzsche métamorphose l’esprit de son lecteur en ruminant, en chameau, en lion et nous invite à inoculer la foudre de la folie, ne devrions-nous pas plutôt considérer l’œuvre de Nietzsche comme une invitation à la démesure, un nouvel éloge de la folie ? Enfin, puisque la volonté de puissance n’est pas un fondement, encore moins une grande continuité, que consécutivement son élévation lyrique elle retombe soudainement à la froideur des investigations souterraines du psychologue. Dans l’environ des seize années qui composent l’amplitude de la période de production, la volonté de puissance occupe la pensée de notre auteur durant seulement cinq ans. Toutefois, il est néanmoins certain que dans les derniers moments de sa réflexion Nietzsche va lui concéder une place très haute puisque la volonté de puissance devient la clef de l’énigme qui nous permet de pénétrer son monde, ce qui rend ce texte hautement décisif ! Hélas c’est un fragment posthume (L1.6 ed gall) qui figure dans l’ouvrage la "volonté de puissance", un livre qui n’existe pas… Pourtant c’est ce texte qui donne tant d’importance à cette conception, nous sommes donc en bon droit d’en reconsidérer sa valeur. Non ?
Votre interprétation est intéressante et je vais tenter d'y répondre en restant au plus près de vos assertions principales.
- "(...) si je t’ai bien compris tu privilégies donc une approche historique et une analyse externe de la pensée de notre auteur ?"
Cet article n'a pas vocation à faire de l'histoire de la philosophie ou à objectiviser la pensée de Nietzsche. Son objectif est de dégager "une" perspective d'interprétation d'une pensée elle-même perspectiviste. J'ai choisi l'angle de la Volonté de puissance en tant que mouvement dialectique au sens hégélien. En réalité, cet article est la première pierre d'un travail que je mène depuis plus d'un an et qui vise à mettre en évidence la proximité conceptuelle profonde entre Nietzsche et Hegel. En ce sens, j'ai conscience de me heurter à la vulgate la plus répandue qui considère que ces deux philosophes s'opposent irréductiblement. Il s'agit évidemment d'une erreur dont je peine encore à comprendre l'origine tant la confrontation des textes parle d'elle-même.
- "La volonté de puissance comme clef de voûte de la triade heideggérienne et des nombreuses interprétations qui s’y rattachent, personnellement je ne pense pas que Nietzsche est concédé autant de valeur à cette conception. Elle ne peut aucunement être tenue de pilier fondateur puisqu’elle intervient tardivement dans la pensée de Nietzsche. (…) Elle ne peut donc être considérée comme une pensée fondatrice puisqu’elle intervient à la croisée des chemins pour ainsi dire. Je ne dis pas pour autant qu’elle n’est pas importante, je reconsidère seulement sa valeur. Elle n’est pas un fondement, mais elle n’est pas non plus une continuité."
Il faut lire les œuvres de Nietzsche en commençant par les dernières: ce sont souvent les plus ramassées, les plus incisives, et elles portent en elles le cheminement intellectuel de l'auteur depuis ses "œuvres de jeunesse" (le terme ne me plaît guère, mais vous voyez ainsi où je veux en venir...). Si les fondations de la pensée nietzschéenne se trouvent jusque dans ses premières œuvres (par exemple, l'influence schopenhauerienne & wagnérienne dont je fais mention), les piliers ont été dressés dans les œuvres les plus tardives (GS, GM, PBM, L'Antéchrist...). Ainsi, n'oubliez pas qu'un pilier fondateur s'élève des fondations pour soutenir la voûte (ici, conceptuelle) ...
- "Formulée poétiquement dans le Ainsi parlait Zarathoustra, la volonté de puissance est ensuite présentée dans le Par delà le bien et le mal comme une conception psychologique."
1. Sur Zarathoustra: Justement, le poète n'est autre que le poiétês, c'est-à-dire le créateur au sens le plus intime du mot. Dire que la volonté de puissance est formulée poétiquement dans le Zarathoustra est juste: on assiste au déploiement et à la mise en application englobante de la volonté de puissance. Inversement, la factorisation conceptuelle, atomique, se trouve dans le paragraphe 349 du Gai savoir précité.
2. Sur PBM: La volonté de puissance n'a jamais été une conception psychologique pour Nietzsche. C'est là l'aveuglement profond d'un Deleuze et, plus généralement, du nietzschéisme de gauche. Au lieu de n'être qu'un ressort de l'esprit, la volonté de puissance est un pur principe ontologique. En d'autres termes, elle est l'essence la plus intime de l'Être, c'est-à-dire celle qui ne connaît pas la distinction entre l'Être existant et l'essence supposée de cet Être. Le paragraphe 36 de PBM vient en déployer la substance:
"(…) La « volonté » ne peut naturellement agir que sur la « volonté », et non sur la « matière » (sur les « nerfs » par exemples) ; bref, il faut risquer l’hypothèse que, partout où l’on reconnaît des « effets », c’est la volonté qui agit sur la volonté, et aussi que tout processus mécanique, en tant qu’il est animé d’une force agissante, n’est autre chose que la force de volonté, l’effet de la volonté. — En admettant enfin qu’il soit possible d’établir que notre vie instinctive tout entière n’est que le développement et la différenciation d’une seule forme fondamentale de la volonté — je veux dire, conformément à ma thèse, de la volonté de puissance, — en admettant qu’il soit possible de ramener toutes les fonctions organiques à cette volonté de puissance, d’y trouver aussi la solution du problème de la fécondation et de la nutrition — c’est un seul et même problème, — on aurait ainsi acquis le droit de désigner toute force agissante du nom de volonté de puissance. L’univers vu du dedans, l’univers défini et déterminé par son « caractère intelligible », ne serait pas autre chose que la « volonté de puissance »."
- "Bien que l’idée se profile et trouve ses prémices dans quelques textes, la formulation volonté de puissance n’apparaît pas dans Gai Savoir et les ouvrages antérieurs."
La formulation de la volonté de puissance apparaît pour la première fois de façon claire et distincte dans le paragraphe 349 du Gai savoir.
- "Dans le Ainsi parlait Zarathoustra, présentée nous l’avons dit poétiquement la volonté de puissance s’entend davantage comme l’engendrement dans le beau et une volonté d’éternité. Dans le Gai Savoir la grande santé (dans le livre V écrit en même geste que le Zarathoustra), nous présente une volonté surhumaine (élément non disjoint) associée au danger, à l’aventure épique, à l’exploration des horizons inconnus de l’esprit. La volonté de puissance est l’expression de la démesure humaine, pour Nietzsche l’homme qui veut s’élever souhaite par là même sa propre chute. La volonté de vrai du sage, du prêtre, du savant, la volonté de justice de l’historien ne sont elle pas des démesures ?"
Là encore, vous vous cantonnez à l'interprétation commune et empreinte de fausseté telle que véhiculée par le nietzschéisme de gauche. D'une part, la grande santé se conçoit comme le moment où toutes les contradictions sont dépassées jusqu'à ce qu'elles soient intégrées, par la volonté elle-même, dans le mouvement dialectique totalisant qui la caractérise. D'autre part, la démesure n'est pas une thématique nietzschéenne. Pour caractériser la volonté de vrai « du sage, du prêtre, du savant » comme vous dites, il serait bien plus opportun de parler de nihilisme... La dénonciation de la démesure est elle-même la marque caractéristique d'un certain nihilisme (il n'y a en effet de démesure que par rapport à une juste mesure, conçue a priori)...
- "(…) ne devrions-nous pas plutôt considérer l’œuvre de Nietzsche comme une invitation à la démesure, un nouvel éloge de la folie ?"
Vous soulevez ici une fausse problématique nietzschéenne du fait de la mauvaise qualification conceptuelle qu'induit le terme de « démesure ».
- "Enfin, puisque la volonté de puissance n’est pas un fondement, encore moins une grande continuité, que consécutivement son élévation lyrique elle retombe soudainement à la froideur des investigations souterraines du psychologue."
Je ne comprends pas où vous voulez en venir et surtout d'où vous partez pour affirmer cela.
- "Dans l’environ des seize années qui composent l’amplitude de la période de production, la volonté de puissance occupe la pensée de notre auteur durant seulement cinq ans."
La vision quantitative que vous adoptez vous empêche de considérer l'œuvre de Nietzsche comme un système décentralisé et harmonieux à la fois. Il est également des périodes où Nietzsche s'est révélé très prolifique: ce sont notamment ses dernières années d'activité. Par ailleurs, le fait de dire que "la volonté de puissance occupe la pensée de [Nietzsche] durant seulement cinq ans" revient à poser une affirmation dont je vous laisse l'entière responsabilité...
- "Toutefois, il est néanmoins certain que dans les derniers moments de sa réflexion Nietzsche va lui concéder une place très haute puisque la volonté de puissance devient la clef de l’énigme qui nous permet de pénétrer son monde, ce qui rend ce texte hautement décisif ! Hélas c’est un fragment posthume (L1.6 ed gall) qui figure dans l’ouvrage la "volonté de puissance", un livre qui n’existe pas… Pourtant c’est ce texte qui donne tant d’importance à cette conception, nous sommes donc en bon droit d’en reconsidérer sa valeur. Non ?"
C'est avec la plus grande prudence qu'il vous faut aborder cet ouvrage... Pour ma part, je n'y vois pas une reconnaissance tardive de l'importance de la volonté de puissance! L'importance du concept de Volonté de puissance saute aux yeux du lecteur avisé qui a su garder en tête Spinoza et Schopenhauer. Mon article présente justement l'intérêt de mettre cela en lumière.
Merci Pierre-Alexandre d’avoir répondu à ma réponse et pardonne à cette dernière qui est un peu tardive. Je suis content d’avoir partagé avec toi une insomnie, permets-moi de te répondre avec sympathie et sincérité, j’espère que mes suggestions te permettront de reconsidérer ton approche.
- Pierre-Alexandre : « La volonté de puissance n'a jamais été une conception psychologique pour Nietzsche. C'est là l'aveuglement profond d'un Deleuze et, plus généralement, du nietzschéisme de gauche ».
- Chiron : Je crains hélas que les textes soient contre toi, lorsque tu dis que la volonté de puissance n’est pas une conception psychologique. Pas besoin de sortir Wotling et d’ouvrir les pensées du sous-sol pour montrer que la volonté de puissance est le fondement de la psychologie expérimentale de Nietzsche.
« Toute la psychologie est jusqu’à présent restée accrochée à des préjugés et à des appréhensions d’ordre moral ; elle n’a pas osé se risquer dans les profondeurs. La concevoir comme je le fais sous les espèces d’une morphologie et d’une génétique de la volonté de puissance, c’est une idée qui n’a effleuré personne » (Par-delà le bien et le mal, 23).
Je suis content de te l’apprendre et en même temps désolé, car ce n’est pas simplement de l’ordre du détail ce que je te raconte ici…
- Pierre Alexandre : « La formulation de la volonté de puissance apparaît pour la première fois de façon claire et distincte dans le paragraphe 349 du Gai savoir ».
- Chiron : Peut-être pas de façon si « claire et distincte » justement, j’ai le texte sous les yeux, la traduction de Sautet énonce : « volonté de pouvoir ». Seulement, la note de bas de pages indique le terme Macht qui veut bien dire puissance. Ce n’est pourtant pas une faute du traducteur qui a pris justement soin de nuancer pour éviter l’amalgame entre les diverses déclinaisons du mot puissance. Le 349 GS commence par la définition suivante : « instinct fondamental de la vie qui tend à une extension du pouvoir ». Or le terme que Nietzsche emploi au début de ce texte est Meisterschaft… Je te renvoie sur ce point de discussion à l’article de Mathieu Kessler: « Le concept de Meisterschaft » qui explique bien cette nuance. En outre, bien que Nietzsche désigne « Spinoza, le poitrinaire », c’est Darwin et la thèse de la lutte pour la survie de l’espèce qui est pointée du doigt... De plus, le livre V dont tu extrais le texte est rédigée dans la même main que le Zarathoustra (1884) alors que le manuscrit du livre I date de 1881 (voir Nietzsche source), tu vois bien la nuance ? Je ne comprends pas pourquoi tu cherches à lire Nietzsche à l’envers en adoptant une telle démarche régressive. Cela est intéressant pour saisir les grandes continuités mais comme je te l’ai précédemment montré la VP n’en est pas une…
- Pierre Alexandre : « D'une part, la grande santé se conçoit comme le moment où toutes les contradictions sont dépassées jusqu'à ce qu'elles soient intégrées, par la volonté elle-même, dans le mouvement dialectique totalisant qui la caractérise ».
- Chiron : Je souhaiterais que tu reformules ta phrase, mais si même si j’en comprends peu le sens, tu es loin de la signification de ce texte. « Celui qui veut connaître par l’expérience la plus personnelle ce que ressent un conquérant, un explorateur de l’idéal, mais aussi ce que ressent un artiste, un sage, un savant, un homme pieux, un devin, un divin solitaire d’autrefois… » quel sens donnes-tu explicitement à cette phrase ? Un mouvement dialectique totalisant ? What ?
- Pierre-Alexandre : « Vous soulevez ici une fausse problématique nietzschéenne du fait de la mauvaise qualification conceptuelle qu'induit le terme de « démesure » ».
- Chiron : Bon, là je ne peux plus rien faire… « Voici je vous enseigne le surhumain : il est cet éclair, il est cette folie ! » (Zarathoustra prologue).
- Pierre-Alexandre : « La volonté de puissance occupe la pensée de [Nietzsche] durant seulement cinq ans" revient à poser une affirmation dont je vous laisse l'entière responsabilité... »
- Chiron : Eh bien si le terme apparaît en 1884 et que Nietzsche meurt mentalement le 3 janvier 1889 cela fait à peu de chose près cinq ans.
- Pierre-Alexandre : « Cet article est la première pierre d'un travail que je mène depuis plus d'un an et qui vise à mettre en évidence la proximité conceptuelle profonde entre Nietzsche et Hegel ».
- Chiron : Aller à l’encontre des idées reçues je suis d’accord, mais jusqu’au point de contester l’anti-hégélianisme de Nietzsche c’est ne pas l’avoir lu. Des vérité et mensonges au sens extra moral Nietzsche la met sur le front d’Hegel, Nietzsche va jusqu’à rompre son admiration pour Hippolyte Taine à cause de son hégélianisme (Ecce Homo). De plus et je viens de le vérifier, il n’y a pas un seul ouvrage d’Hegel dans la bibliothèque de Nietzsche à Weirmar…
Et c’est moi qui porte un bonnet d’âne !..
Note bien : A+
- "Je crains hélas que les textes soient contre toi, lorsque tu dis que la volonté de puissance n’est pas une conception psychologique. Pas besoin de sortir Wotling et d’ouvrir les pensées du sous-sol pour montrer que la volonté de puissance est le fondement de la psychologie expérimentale de Nietzsche.
« Toute la psychologie est jusqu’à présent restée accrochée à des préjugés et à des appréhensions d’ordre moral ; elle n’a pas osé se risquer dans les profondeurs. La concevoir comme je le fais sous les espèces d’une morphologie et d’une génétique de la volonté de puissance, c’est une idée qui n’a effleuré personne » (Par-delà le bien et le mal, 23).
Je suis content de te l’apprendre et en même temps désolé, car ce n’est pas simplement de l’ordre du détail ce que je te raconte ici…"
Je vous suggère de reconsidérer avec attention la qualification de « principe ontologique fondamental » que j'ai pu porter sur le concept de Volonté de puissance. La Volonté de puissance est certes au fondement de ce que vous nommez « la psychologie expérimentale de Nietzsche ». L'expression « psychologie » acquiert un sens tout à fait singulier dans le style nietzschéen, et ce, en raison de l'outil conceptuel qu'il développe et qui est un véritable microscope à 3 objectifs (naturalisme, perspectivisme & généalogisme). Si je ne conteste pas que la volonté de puissance est au fondement de la « psychologie » nietzschéenne, je maintiens cependant que vous vous pêchez par méconnaissance en affirmant que « la volonté de puissance [est] une conception psychologique ». En effet, la Volonté ne puissance, que je définis également comme « pierre angulaire de la philosophie de nietzsche » en plus d'être un « principe ontologique fondamental », ne peut qu'être le point de perspective à partir duquel la « psychologie » nietzschéenne fait sens. Vous confondez donc, au sein même de votre objection, le fait que la volonté de puissance est le fondement de la psychologie nietzschéenne et le fait que la volonté de puissance ne soit dans votre hypothèse qu'une conception psychologique. En confondant la proposition atomique du concept et le concept lui-même, vous en venez à réduire la Volonté de puissance à une conception non-seulement extrêmement restrictive mais encore étrangère à la plasticité conceptuelle qui traverse l'œuvre de Nietzsche. D'ailleurs, la citation que vous produisez n'apporte aucune justification à vos propos. Pour vous en rendre compte, je vous renvoie à la pureté de la traduction d'Henri Albert: « Toute la psychologie s’est arrêtée jusqu’à présent à des préjugés et à des craintes morales : elle n’a pas osé s’aventurer dans les profondeurs. Oser considérer la psychologie comme morphologie et comme doctrine de l’évolution dans la volonté de puissance, ainsi que je la considère — personne n’y a encore songé, même de loin : autant, bien entendu, qu’il est permis de voir dans ce qui a été écrit jusqu’à présent un symptôme de ce qui a été passé sous silence. »
Vous remarquerez ainsi que les expressions « sous les espèces d’une morphologie et d’une génétique de la volonté de puissance » et « comme morphologie et comme doctrine de l’évolution dans la volonté de puissance » vont toutes deux dans le sens d'une subordination de la psychologie à la Volonté de puissance. La traduction d'Henri Albert a le mérite de ne laisser subsister aucune ambiguïté. Par-delà cette citation isolée, je vous renvoie à la lecture de l'œuvre de Nietzsche dans son ensemble. La Volonté de puissance en est la clef de compréhension en ce qu'elle permet conserver l'unité profonde de l'œuvre. Une lecture au plus près du texte devrait vous en convaincre.
- "Je ne comprends pas pourquoi tu cherches à lire Nietzsche à l’envers en adoptant une telle démarche régressive. Cela est intéressant pour saisir les grandes continuités mais comme je te l’ai précédemment montré la VP n’en est pas une…"
Une démarche véritablement régressive consiste, d'une part, à nourrir un débat excessivement herméneutique et donc insuffisamment anagogique autour du pseudo-concept de "Meisterschaft", et d'autre part (mais corollairement), à délaisser l'unité profonde de la philosophie de Nietzsche qui apparaît au lecteur avisé pourvu qu'il sache lui-même prendre un peu de hauteur. N'est-ce pas, d'ailleurs, le maître mot d'Ecce Homo?
- "Je souhaiterais que tu reformules ta phrase, mais si même si j’en comprends peu le sens, tu es loin de la signification de ce texte. « Celui qui veut connaître par l’expérience la plus personnelle ce que ressent un conquérant, un explorateur de l’idéal, mais aussi ce que ressent un artiste, un sage, un savant, un homme pieux, un devin, un divin solitaire d’autrefois… » quel sens donnes-tu explicitement à cette phrase ? Un mouvement dialectique totalisant ? What ?"
Pour que je puisse vous répondre, éclairez-moi précisément sur ce qui vous pose problème car je ne vois pas bien ce que cette citation vient faire là.
- "Eh bien si le terme apparaît en 1884 et que Nietzsche meurt mentalement le 3 janvier 1889 cela fait à peu de chose près cinq ans."
Désormais, je distingue clairement ce qui vous empêche de comprendre Nietzsche dans toute son unité et sa cohérence. Votre lecture est bien trop littérale. Cela vous empêche d'analyser les premières oeuvres de Nietzsche sous l'angle de la Volonté de puissance. Ainsi, vous passez totalement à coté de cette particularité qui fait que Nietzsche et Hegel sont, contrairement à l'opinion de la doxa, d'une étonnante proximité. Ne pouvant malheureusement pas faire ce travail à votre place, je regrette pour vous que vous n'arriviez pas à vous extraire d'une lecture linéaire de l'oeuvre. Cela étant dit, je vais pouvoir répondre à votre dernière objection qui n'est finalement que la conséquence de l'hégémonie doctrinale totalement injustifiée de ces cerveaux malades se réclamant du nietzschéisme de gauche.
- "Aller à l’encontre des idées reçues je suis d’accord, mais jusqu’au point de contester l’anti-hégélianisme de Nietzsche c’est ne pas l’avoir lu. Des vérité et mensonges au sens extra moral Nietzsche la met sur le front d’Hegel, Nietzsche va jusqu’à rompre son admiration pour Hippolyte Taine à cause de son hégélianisme (Ecce Homo). De plus et je viens de le vérifier, il n’y a pas un seul ouvrage d’Hegel dans la bibliothèque de Nietzsche à Weirmar…"
Soyez rassuré, je prépare un article très détaillé sur le sujet. En attendant, vos propres constatations m'ont fait sourire car elles auraient dû vous mettre la puce à l'oreille... Cependant, si vous êtes incapable de vous mettre d'accord sur le fait que la Volonté de puissance est le concept unificateur de la pensée de Nietzsche, alors je n'espère évidemment pas vous convaincre par cet article à venir. Encore une fois, il s'agit de saisir la pensée de Nietzsche dans sa totalité et non de la rabaisser à des catégorisations réductrices. C'est en cloisonnant la pensée qu'on en vient à la faire mourir: les concepts sont comme autant d'organes qui, une fois désolidarisés du corps, perdent toute leur dimension fonctionnelle.
À bientôt Chiron.
Merci Pierre-Alexandre pour cet échange dont j’apprécie tout particulièrement la belle pugnacité de nos paroles. À l’initial, je proposai seulement de reconsidérer l’importance que les commentateurs ont concédé à cette conception, la discussion a dérivé ensuite sur une définition de la volonté de puissance. Je voudrais donc reprendre les pistes que j’ai lancée : la VP n’est pas une pensée fondatrice puisque sa formulation intervient tardivement dans le corpus (1884) ; elle n’est pas une continuité puisqu’elle est d’abord formulée poétiquement avant d’être formulée « psychologiquement » ou bien si tu préfères cette terminologie philosophiquement (*). Avec ces deux points de discontinuité comment considérer à l’issue la VP comme une pensée « fondamentale » ?
(*) Même si je te suggère de remplacer Rousseau par un Stendhal, un Taine (surtout la faculté maîtresse), un Ribot ou bien encore un Bourget dans le champ de ton analyse externe. Seulement, il suffit d’arracher la première page de son A. Cuvillier : « Manuel de philosophie Tome 1 : Psychologie » pour se rendre compte que la philosophie (morte) s’est fait psychologie (nouvelle) à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, mais bref…
Cela étant dit, je ne conteste pas l’importance concédée par Nietzsche à cette conception et encore moins la définition qu’il en donne. Je conteste seulement le commentateur qui, comme toi, se sert de la VP comme d’une grille de lecture (ex : la triade heideggérienne). La VP est capitale pour la compréhension du dernier mouvement de sa pensée et plus précisément la période 1886-1888. Mais soutenir qu’elle demeure indispensable pour lire les ouvrages antérieurs au GS (qui en marque les prémices) c’est faire tout simplement un anachronisme. Ainsi et tout bien considéré, la démarche régressive, en tant qu’implication des considérations dernières sur les considérations premières, bien que cela soit très plaisant, tout lecteur le pratique un peu hein… est sur le plan historique une aberration épistémologique. En ce qui concerne l’argument « génétique » et ce « criterium de vérité » du « texte pur », tu m’aurais sorti l’ed Coll.Mont. ça marche… mais Henri Albert ça ferai rire tout le comité. Personnellement sa version du Zarathoustra est ma préférée, la plus belle, mais c’est la moins littérale, la moins « philologique » du lot désolé. D’ailleurs, les deux traductions ainsi comparées ne transgressent pas le sens du texte et ne laisse la place à aucune ambiguïté.
Pour résumer un peu mon positionnement politique : « Marianne ô Dame Nation ! » (signé Dionysos qui aimerait bien la surmonter en passant, oups…). Alors j’essaye de comprendre en quoi le positionnement politique influe sur la compréhension de notre auteur selon que l’on est de droite ou bien de gauche… les deux sont des démocrates ?
Mais bon… je dois reconnaître que tu t’adonnes à une bonne activité que ton propos est intéressant. Je reconnais derrière les lignes de ton texte un bon universitaire qui s’exprime avec aisance et méthode. Je parle donc seulement à titre suggestif, j’ai partagé quelques doutes avec toi, tant sur la manière d’aborder que de considérer la VP. C’est toute l’histoire de la réception du XXe siècle qui donne de l’importance à cette conception et que tu restitues donc ici à bon droit dans ton article. Mais puisque tu proposes de faire de la philosophie autrement, je te proposais seulement quelques pistes pour penser ton sujet autrement. D’ailleurs j’ai semé ici et là des petits cailloux pour t’inviter au détour et aux chemins de traverses si tu as le goût pour les ballades. Pourquoi prendre ce raccourci de la VP et commencer par l’endroit où l’itinéraire de sa pensée se termine. La plupart des commentateurs du XXe sont tombés dans ce panneau, ont étudié Nietzsche avec les ouvrages la Volonté de Puissance en main (esprit de synthèse oblige), ont reporté les considérations dernières sur les premières, ont donné plus d’importance aux fragments posthumes qu’aux œuvres publiées. Ecoute tous ces pseudos philosophes qui chantent en chœur que Nietzsche n’aurait jamais dû rédiger son Zarathoustra… Ou bien encore, les spécialistes qui ressassent les fausses questions dans les émissions radio plutôt que de se pencher sur le problème de la civilisation que sa pensée met en ruine. De gauche comme de droite ! Peu en échappe, hélas pour eux… Mais sache que tu possèdes un privilège qu’aucun universitaire ne pourra te prendre et auquel ceux d’hier et de demain ne peuvent prétendre : la légitimité. C’est ici, c’est maintenant, la parole est à toi.
Merci Pierre Alexandre pour cet article remarquable, concis, bien écrit et scrupuleusement référencé. Le concept de volonté de puissance est, bien qu'il soit au cœur de la philosophie nietzschéenne, bien mal connu ou vulgarisé à souhait.
Rapprocher Nietzsche d'autres éminents auteurs, pour mieux en saisir sa profonde différenciation, est un pari risqué, mais réussi. Cependant, à ce sujet, excusez de trouver parfois vos approches trop imprécises, voire expéditives, et, à ce sujet, je pense à ce pauvre Rousseau qui se voit envoyé sur les roses alors que ses propres concepts n'ont en rien de rapports avec ceux de Nietzsche. Ensuite, il aurait été intéressant de voir en quoi la volonté de vivre chez Schopenhauer et la volonté de puissance chez Nietzsche se distinguent plus nettement, usant alors d'une description plus détaillée de la première, laquelle a comme erreur fondamentale par exemple de distinguer le phénomène de la chose en soi, problème dont vous faites absolument abstraction.
J'ai une deuxième critique. En effet, il aurait été, certes banal, mais amplement utile et intéressant, que vous fassiez allusion aux autres concepts nietzschéens, même superficiellement, pour comprendre alors en quoi par exemple la volonté de puissance n'est pas une justification de l'eugénisme.
J'ajouterai que ces critiques n'entachent en rien le plaisir que j'ai pu avoir à la lecture de votre article, et je vous souhaite une excellente continuation, en attendant d'être contestée fougueusement par vos propos. Existe-t-il un orgueil proprement nietzschéen ?
Ps : qu'entendez-vous par un « nietzschéisme de gauche » ? Votre réponse risque de m'amuser.
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